Cet article est le troisième d’une série intitulée “Trois bougies pour le Printemps arabe: Bilan”.
Préambule: Le Printemps arabe; 1) Aveuglement de l’Occident; 2) Mutation des Etats-Unis
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3- La Syrie
La guerre en Syrie apparaît comme le “masque à double face” du Printemps arabe. Ceux qui ont vu dans ce mouvement un éveil des populations arabes tiennent la révolution contre le régime des Assad, un régime qui dure depuis 40 ans, comme un “exemple parfait”. Ceux qui ont vu dans le Printemps arabe une facette du “complot”, montre les hordes djihadistes qui ont envahi cette révolution, comme preuve des manigances qui visent les pays arabes, et la Libye leur sert comme “contre-exemple parfait”. C’est ainsi qu’une révolution qui a suscité beaucoup d’espoirs fut étouffée par les prolongations de son cheminement.
Mais la guerre en Syrie fut (et est toujours) un révélateur de tous les enjeux régionaux et internationaux qui font du Moyen-Orient cette partie du monde en perpétuelle instabilité. La Syrie ou Bilâd al-Shâm fut de tous les temps un carrefour des ambitions d’hégémonie sur les peuples qui forment la Nation arabe: Plus petite que l’Irak et l’Égypte mais se trouvant entre les deux pôles arabes elle a su depuis des siècles jouer sur les contradictions pour être au coeur des décisions.
Les applaudissements qui se sont élevés à Damas pour accompagner les premiers coups du Printemps arabe qui ont secoué la Tunisie et l’Egypte dénotent une méconnaissance totale de l’état d’esprit des peuples arabes. Le régime de Damas ne voyait ces révolutions que sous le prisme qui l’opposait à l’axe Egypte-Arabie saoudite, donc l’axe qui favorise les négociations avec l’Occident et de là avec Israël pour règles le conflit israélo-arabe. Par contre la Syrie par la voix de son parti unique affirmait haut et fort qu’elle lutte pour les droits des Palestiniens spoliés, même si elle enrobe son discours par le slogan d’une “Paix juste et durable”, subordonnée en fait, à la récupération de son Golan.
Or l’effondrement du régime de Ben Ali en Tunisie et de Moubarak en Egypte relevait uniquement de la chute de deux dictatures, deux régimes policiers qui depuis des décennies étouffaient les libertés de leurs populations. C’était le cas de la Syrie. Comme dans les sciences exactes une expérience qui se déroule dans des conditions identiques mène vers des résultats identiques: la révolution éclata en Syrie.
Le processus des similitudes ne vaut que pour les éléments déclencheurs, car si le régime ne s’est pas effondré rapidement c’est que d’autres facteurs inhérents à la structure fondamentale de la Syrie ont dévié cette révolution vers une guerre civile. Tous les opposants de l’intérieur qui ont connu les geôles du régime, donc fins connaisseurs de la mosaïque du peuple syrien, ont mis en garde contre la militarisation de la révolution. Mais des opposants vivant depuis des années à l’étranger ont poussé vers cette militarisation seule issue qui leur permettait de tenir un rôle dans l’après Assad qui paraissait à portée de main. Les jihadistes, qui sont devenus dans le monde arabo-musulman un facteur supranational, se sont engouffrés dans la brèche. La composition multi-éthnique de ce pays a fait le reste.
Mais si le régime a pu résister c’est grâce à l’aide directe des Russes et des Iraniens et indirecte des Chinois et de tous ceux qui ont vu une répétition du scénario libyen. L’interventionnisme occidental devenait un épouvantail sur la scène international. L’opposition syrienne qui a essaimé à l’étranger ne voulait pas réaliser et reconnaître les horreurs que les djihadistes ne manqueraient pas de répandre sur le sol de leur patrie, aveuglée par sa haine pour Assad et son régime, elle a fait feu de tout son bois de sympathie. Les exactions des djihadistes pousseront petit à petit les minorités de la Syrie entre les bras du régime.
Au gré de la barbarie sans fin qui colore cette guerre civile, la Syrie en tant que champ de bataille reprit son importance stratégique au sein de la région. Car les pays du Golfe qui ont joué un grand rôle dans la chute du régime de Saddam en Iraq ont perdu sur la ligne d’arrivée: l’Iraq après le passage de l’occupation américaine devient un allié de l’Iran, et la Syrie alliée de cet Iran depuis l’avènement de la République islamique, devient le centre d’un axe allant des confins de la steppe azérie et afghane jusqu’à la frontière de la Palestine historique au Nord d’Israël si on inclut le Hezbollah libanais un autre allié. Nul besoin d’être stratège, il suffit d’un coup d’oeil sur une carte pour comprendre que cet axe, qu’on a voulu lui donner le substantif “axe chiite”, coupe le monde sunnite en deux: au Nord la Turquie membre de l’Otan et alliée des Etats-Unis, et au Sud les pays du Golfe et en premier lieu la Monarchie wahhabite, tous pays alliés de l’Occident. Cet axe “renforcé” qui accumule également un fort potentiel dirigé vers Israël, forme un poids politique qui déborde sur les pays arabes. Cela explique les alliances qui se sont formées pour “casser” cet axe en frappant son “ventre mou”: la Syrie.
A suivre ( 4- L’Iran; 5- Sunnite et Chiite la boîte de pandore; 6-Le re-découpage du Moyen-Orient; 7- Les Palestiniens et les Israëliens; 8- Et l’Europe dans ça?)