Comment sauver Israël ? C’est le titre qu’on devrait donner à la Conférence pour la paix au Proche-Orient organisé par la France à Paris le 15 janvier.
Dès l’arrêt des négociations de paix entre Palestiniens et Israéliens, et l’accélération de la colonisation des terres de la Cisjordanie, des tribunes ou des analyses ont abordé la même thématique et ont été dans le même sens : sauver Israël de lui même !
Ce mouvement pour sauver l’État hébreux a été initié aux États-Unis, par « J Street », qui se définit dans ses statuts en tant que «bras politique du mouvement pour Israël et pour la paix », groupe de pression fondé en avril 2008. Son objectif est la promotion d’une gouvernance américaine qui doit contribuer à la fin du conflit israélo-palestinien.
A la fin de cette année 2008, Barak Obama est élu, il prit la balle au rebond : ce fut son « Discours du Caire » qu’il a prononcé à l’université al-Azhar du Caire le 4 juin 2009 un discours considéré comme présentant un changement de cap majeur en matière de relations internationales, il abordera le conflit israélo-arabe en des termes très nouveaux par rapport aux discours des dirigeants américains connus jusqu’alors.
D’ailleurs les années Obama ont montré une montée palpable des tensions entre Washington et Tel-Aviv, une tensions qui tournait autour des …colonies.
En Europe le mouvement « JCall » est lancé le 3 mai 2010 au Parlement européen de Bruxelles. « JCall » à la différence de « J Street » ne s’adresse pas, directement aux gouvernements de l’Europe, il s’adresse au Juifs d’Europe puisque ce sigle résume «European Jewish Call for Reason». Jean Daniel l’a décrit comme « un cri d’alarme accompagné d’une déclaration d’amour et de fidélité ».
Ces deux mouvements représentent un aperçu des luttes de courants aux seins des communautés juives et parmi les amis d’Israël en Europe et aux États-Unis.
Tous ces courants ont comme objectif « sauver Israël », y compris l’administration Obama malgré les tensions.
D’ailleurs les années Obama ce sont les années qui avaient été les plus généreuses pour les aides octroyées à Israël par Washington. Le dernier acte du président avant de quitter la Maison blanche ce sont les 38 milliards de dollars (34 milliards d’euros), une somme, vertigineuse, qui devrait permettre à l’État hébreu de consolider sa suprématie militaire dans la région.
Donc quand Obama, comme J Street ou JCall et les autres, s’opposent à la politique du gouvernement de droite d’Israël, c’est dans l’intérêt d’Israël …disons du peuple israélien entraîné par la droite la plus dure de son histoire. L’abstention des États-Unis lors du vote sur la colonisation au Conseil de sécurité en décembre fut l’ultime tentative.
Quels sont les dangers qui guettent cet Etat pour que ces « meilleurs amis se liguent » pour lui offrir une échappatoire, tout en réaffirmant de concert leur engagement en faveur de sa sécurité ?
La communauté internationale s’accorde sur le fait que la paix au Proche-Orient passe par la création d’un Etat palestinien, donc la solution de deux États et donc par la fin de l’occupation.
Sans entrer dans les considérations politiques ou morales, le danger qui guette Israël est la permanence de l’occupation.
Le paradigme colonial
Un théorie qui a vu le jour dans les études sur le colonialisme, traite du principe de la domination et de la capacité à dominer en analysant l’indice de puissance (iP).
Peut-on considérer la question israélo-palestinienne comme une problématique coloniale ?
Le sionisme, au départ est un projet national dont l’objectif est la création d’un État souverain pour une nation, le peuple juif, sur une terre ayant une signification historique et religieuse. Il ne se définit pas en tant que projet colonial qui cherche à dominer et « civiliser » une population indigène et exploiter les ressources naturelles de cette terre. Donc aucune comparaison possible avec les empires coloniaux français ou britanniques.
Mais à partir de 1967 et l’occupation de la totalité de la Palestine, le paradigme colonial est accompli, sur ce territoire occupé où vit une population palestinienne.
En Cisjordanie, qui n’est pas une Terra nullius, il y a un peuple, que “les forces d’occupation israélienne ” ne veulent ni massacrer ni l’assimiler.
Dès lors l’occupation pose le problème du rapport de « puissance entre deux peuples » qui coexiste sur cette terre. Et se pose la question de la capacité à dominer soit l’indice de puissance (iP) de chacun de ces deux peuples qui s’oppose.
On appelle indice de puissance d’un peuple (iP) le produit de sa démographie par sa capacité à rationaliser son action (degré de rationalisation ou iR). C’est la capacité d’un peuple à dominer un autre.
Si deux peuples ont deux poids démographiques équivalents c’est le degré de rationalisation qui détermine la puissance de domination (iP=D X iR).
Si le facteur démographique est facilement qualifiable quantitativement en estimant son poids dans un conflit (Chine-Taiwan par exemple), c’est le facteur indice de rationalité (iR) qui présente une difficulté à quantifier, sachant que le poids de ce facteur est plus que déterminant dans tout conflit (Israël – Pays Arabe).
Historiquement c’est l’organisation sociale de façon générale qui ouvre le chemin au progrès au sens large. Cette organisation sociale jointe à l’invention des premiers outils (l’utilisation du fer, les char de guerre, etc. …) déterminera la domination de certains peuples aux dépends d’autres .
Par la suite le progrès prend d’autres formes en s’appuyant sur d’autres bases plus évoluées : la généralisation de l’éducation, l’industrialisation, le développement économique, les infrastructures, l’organisation des organes de gouvernance, etc. …
Pour mesurer le degré de rationalisation, (pour faire simple) on s’accorde à considérer deux facteurs, qui en réalité génèrent indirectement d’autres facteurs : le taux d’alphabétisation et le niveau du PIB.
Il est normal que le taux d’alphabétisation reflète le niveau d’éducation (moyen) d’un peuple donc son accès au progrès (dans tous les sens : organisation sociale, utilisation de technologies avancées, donc armes et moyens de communication, etc. …).
Tandis que le PIB indique le développement économique qui permet l’appropriation des éléments techniques et l’avancement vers le progrès.
Dans l’Afrique du Sud sous le régime de l’apartheid, les peuples blancs, avaient un rapport démographique défavorable mais une rationalisation trop importante, d’où la domination exercée sur les autres communautés, jusqu’au jour où le niveau de développement économique des Noirs, sans atteindre celui des Blancs, influença l’équation (iP= D X iR) et rendit tout son poids au facteur démographique (qui n’est pas l’unique facteur comme aime à penser ceux qui parlent de l’arme démographique).
Ces schémas de renversement de domination ont prouvé leur pertinence et peuvent être démontrés dans presque tous les cas de domination.
Le cas Israël-Palestine
En 1948 la population israélienne a pu mettre en place un modèle de puissance, ce qui lui a permis de prendre le dessus. (les immigrés juifs fuyant le nazisme avaient un degré de rationalisation supérieur aux populations palestiniennes). Une minorité de Palestiniens n’a pas fui et est restée dans les frontières du jeune État. La puissance de cet État fraichement bâti reposait sur ce rapport : une démographie supérieure à la population arabe et un degré de rationalisation beaucoup plus important.
Cela aurait pu durer presque un siècle sinon plus, car même si la population arabe serait intégrée (sans être assimilée) dans la société israélienne, son degré de rationalisation augmenterait, mais sa démographie aurait tendance à stagner avant de diminuer par le fait même du progrès porté par la société israélienne d’après le modèle de transition démographique (système appliqué par l’ONU pour ses prévisions démographiques cf : Adolphe Landry).
Mais malheureusement, Israël a élargi son territoire dit national, en 67 en occupant la Cisjordanie, et c’est une masse de population palestinienne qui s’ajoute au bilan démographie de cette équation iP=D X iR.
Cette équation s’applique à un modèle colonial, le modèle israélien qui était national, a glissé vers un modèle colonial.
D’après des données israéliennes (Université hébraïque de Jérusalem- travaux de Sergio Della Pergola) on considère au sein de l’entité Israël-Palestine quatre groupes de population dont les taux de fécondité sont:
– les Juifs israéliens : 2,6 constant sur 50 ans (2000-2050) ; – les Arabes israéliens : 4 ; – les Palestiniens de Cisjordanie : 5,4 ; – les Palestiniens de Gaza : 7,4
Deux remarques s’imposent :
1) Le taux de fécondité des Israéliens est déjà très élevé par rapport aux sociétés occidentales qui ont le même niveau de progrès.
2) Les Palestiniens commencent à entamer une « transition démographique » le taux de fécondité ayant commencé à baisser et des démographes pensent qu’aux alentours de 2050 il serait de l’ordre de 3,8 (mais qui restera plus important que celui des Israéliens).
Malgré cela la balance démographique penche du côté palestinien et en appliquant une projection sur 50 ans nous constaterons que le déséquilibre sera de plus en plus fort. (schéma-1)
Du côté du facteur de l’indice de rationalité (iR), et considérant que le PIB est l’élément le plus représentatif, le PIB israélien évolue de façon linéaire, car l’économie israélienne qui est arrivée à maturité suit le même cheminement que les économies occidentales avancées: elle ralentit par période mais conserve un potentiel de croissance limitée.
L’économie palestinienne est très faible, venant de très loin, elle commence à connaître les prémices d’une amélioration, qui est palpable même s’il est difficile de considérer ce mini décollage comme une expansion économique.
Dès les années 2000 ce décollage a été amorcé avec les milliards d’aide des instances internationales.
L’évolution du PIB palestinien calculée en 2000 donne une rupture qui place le PIB per capita autour de 5000 dollars, des calculs montrent que l’évolution peut avoir la même pente que l’évolution du PIB israélien. (schéma-2)
Le calcul des données démographiques et de l’indice de rationalisation des deux « parties » palestinienne et israélienne combinées pour comparer l’indice de puissance donne un graphique qui parle de lui même : Les Palestiniens auront un indice de puissance (iP) relatif supérieur à celui des Israéliens, et auront la capacité de dominer la totalité de la Palestine mandataire. (schéma-3)
Ce « breaking point » est situé d’après le graphique entre 2040 et 2050, les flottements (mathématiques) des données, peuvent déplacer cette date d’un intervalle d’une dizaine d’année… mais ce calcul est inéluctable.
Ce calcul devrait être mis sous le nez du gouvernement israélien pour savoir comment sauver Israël, la réponse est simple : en se retirant de la Cisjordanie et en préservant la solution de deux États. CQFD.
Note: Les schémas sont pris du site de l’Université de Grenoble