Les premiers convertis à l’islam au Japon; le religieux entre nationalisme et pan-asiatisme
L’histoire de l’implantation de l’islam au Japon conserve de nombreuses facettes cachées, et nonobstant les efforts de recherches entrepris depuis deux décennies.
Les causes en sont multiples et variées. Il y a tout d’abord le nombre de domaines de recherches où ce phénomène a pu / ou pourrait être abordé.
Si on poursuit ensuite l’histoire des conversions depuis l’ouverture du Japon, chose aisée au regard du nombre restreint de Japonais s’étant convertis dans la première période jusqu’à la fin de l’ère Meiji, nous pouvons dégager les profils, tant intellectuels que politiques, ainsi que les conditions sociales, de ces premiers musulmans japonais.
Après la première guerre mondiale (1914-1918), au sein de ce Japon classé parmi les puissances victorieuses, et à l’ombre de ce qui est convenu d’appeler Taishô demokurashi, un nouveau profil de Japonais convertis à l’islam se dégage et s’affirme et ce jusqu’à la deuxième guerre mondiale.
Nous constatons qu’une vague de convertis issus des forces armées japonaises donne une coloration militantiste à ce mouvement de conversion.
L’intérêt historique de ce phénomène résulte du rapprochement qui s’opère entre les mouvements nationalistes japonais (tels que Ajia kyôkai, Ajia gikai, Kokuryû-kai etc…) et le transfert entre le prosélytisme islamique et les idéologies de ces associations patriotiques.
Les premières conversions furent discrètes et touchaient des Japonais qui fréquentaient des Musulmans étrangers résidents au Japon, peu nombreux, tel le Tatar Abdülrachid Ibrahim, ou bien l’officier égyptien Ahmed Fadhli Bey… Les plus connus furent Toyama Mitsuru (1855-1944) fondateur en 1909 de Ajia gikai (Société pour la cause Asiatique), ainsi que Yamaoka Kôtarô (1880-1959) premier pèlerin en terre d’islam et à La Mecque.
La vague suivante fut le résultat du contact avec l’islam en Chine, où les milieux islamistes étaient très actifs. Ce furent surtout des militaires japonais qui se convertissaient et qui à leur retour au pays essayaient d’élargir leur mouvement.
Avec la conversion de Tanaka Ippei (1882-1934) en 1924, l’islam connut un nouvel élan dans le profil des convertis. En effet Tanaka, qui était un fervent disciple du général Nogi, a passé de longues années en Chine comme interprète au sein de l’armée impériale. Malgré ses contacts fréquents avec les intellectuels chinois musulmans, il ne s’était converti à l’islam qu’en 1923 après son retour définitif au Japon. Dans l’intervalle il avait commencé à écrire sur la « religion d’Allah » sous forme de textes critiques en mettant en parallèle « l’islam en Chine et le shintô impérial » (Shina kaikyô no shôrai to kôkoku shintô), et en introduisant le grand penseur chinois de l’islam Ryû Kairen (Liu Zhi1662-1736) « Le développement de l’islam en Chine et Ryû Kairen » (Shina kaikyô no hatten to Ryû Kairen) etc.…
En dix ans, entre 1923 et 1934, année de sa mort, il s’activa au sein des milieux nationalistes et essaya de promouvoir ce qu’il est permis d’appeler un lobby militaire pro-musulman pour soutenir les ambitions du Japon en Asie. Ce qui donne une coloration particulière à son militantisme et à son combat intellectuel c’est son effort pour créer des rites musulmans japonisés. Il échoua car peu de convertis lui emboîtèrent le pas.
Tanaka disparu, d’autres disciples prirent la relève et formèrent les bases d’un futur islam japonais, modeste par sa taille et ses ambitions. Mais il serait très intéressant de voir pourquoi il y a eu ce rapprochement entre nationalisme japonais naissant et cette religion importée de Chine, dans les conditions de cette époque mouvementée des relations entre le Japon d’une part et la Chine et le monde entier d’autre part.
http://sfej.asso.fr/site/colloque2006/sessionE.htm